Le Réseau femmes*, la Fondation pour l’égalité de genre, la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) et l’Association des juristes progressistes (AJP) prennent position contre les projets de loi déposés par l’UDC (PL 13333 et PL 13334) qui menacent les récentes avancées législatives pour l’égalité et la lutte contre les discriminations (LED et LED- Genre). L’égalité ne se décrète pas mais elle se construit. Ces nouvelles lois sont des outils essentiels à sa bonne réalisation car chaque pas compte pour atteindre une société plus juste et égalitaire.
En mars 2023, le Grand Conseil adoptait à une très large majorité une loi générale sur l’égalité et contre toutes les discriminations (LED L13279) ainsi qu’une première loi sectorielle se concentrant plus spécifiquement sur les discriminations liées au sexe et au genre (LED-Genre L12843). Celle-ci prévoit notamment d’établir des statistiques sur les violences et les discriminations, d’assurer la formation en matière de lutte contre le harcèlement sexuel du personnel de l’État ou encore d’interdire les chirurgies non-consenties chez les enfants intersexes.
Quelques mois plus tard, des députés de l’UDC déposaient deux projets de loi (PL 13333 et PL 13334) pour abroger ces lois au motif qu’il « n’y a rien à attendre (…) d’une nouvelle loi », que ces « mesures n’auront d’autre effet que de creuser les déficits » et que « les discriminations fondées sur le sexe ne sont plus à l’ordre du jour ».
Contrairement à ce qu’affirme l’UDC, les discriminations fondées sur le genre sont toujours une réalité bien ancrée en Suisse. La recherche souligne la persistance d’inégalités touchant spécifiquement les femmes en matière d’accès à l’éducation, à la santé, à la vie économique et politique (1). Les stéréotypes degenre exercent une influence centrale sur l’orientation professionnelle des jeunes (2). Et non, « toutes les possibilités » ne sont pas « ouvertes aux filles et aux femmes ». Les femmes sont surreprésentées dans les métiers du soin et de l’aide à autrui (communément regroupés sous le terme de care). Comme l’a montré la pandémie de Covid-19, ces métiers sont absolument essentiels au bon fonctionnement de notre société mais ils sont pourtant mal rémunérés (3). Entre le poids des normes, les différences de secteurs d’activité, les discriminations et le difficile accès au système de garde, le revenu des femmes est en moyenne inférieur de 43,2% à celui des hommes (4). Et cela est sans compter le continuum de violences auxquelles elles sont exposées dans leur vie quotidienne, allant du harcèlement aux féminicides, ces derniers concernant une femme toutes les deux semaines et demie en Suisse (5).
L’impact des violences vécues par les femmes ne peut se résumer aux seules statistiques. Le système patriarcal entraîne aussi un coût direct pour la société : comme le montre une étude du Bureau fédéral de l’Égalité sur des données de 2011, les violences dans les relations de couple représentent, selon les estimations les plus basses, un coût additionnel de près de 164 millions de francs par année (6). Au vu des chiffres articulés, si l’UDC souhaite réellement éviter de creuser le déficit de notre République, comme l’affirment ses députés (cf. PL 13334), alors la réduction des inégalités serait leur priorité.
Ces projets relèvent d’abord d’offensives réactionnaires qui visent tout autant les droits des femmes que ceux des minorités de genre. En mai dernier, l’UDC déposait également un projet de modification de la loi sur la santé (LS) ayant pour objectif d’interdire les interventions d’affirmation de genre auprès des mineurs trans* et non binaires (PL 13324). Au nom de la protection de l’enfance, ce projet nie en réalité plusieurs décennies d’expérience et de recherche. À l’étranger comme en Suisse romande, les dernières données montrent que l’accès à une prise en charge médicale éclairée diminue considérablement les indices de dépression, d’anxiété ainsi que les menaces suicidaires des jeunes trans* et non
binaires (7). Il importe de préciser que le cadre légal suisse ne permet pas d’entreprendre des chirurgies génitales avant la majorité. Dans le respect de la capacité de discernement et pour permettre aux personnes de prendre une décision éclairée, un accompagnement professionnel bienveillant est donc essentiel. Si cette modification de la loi sur la santé devait être adoptée, les jeunes trans* et non binaires seraient ainsi davantage vulnérabilisé-e-xs.
Ces projets de loi relèvent de la fabrique d’une « panique morale » autour d’une soi-disant « idéologie woke », terme fourre-tout pour désigner tout engagement contre les discriminations. Comme des travaux l’ont montré en France, sous couvert de dénoncer l’importation de théories américaines, la « panique woke » relève en réalité d’une offensive réactionnaire qui vise, par des mécanismes
similaires, les droits des femmes et des minorités de genre (8).
Ainsi, le Réseau femmes*, la Fondation pour l’égalité de genre, la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) et l’Association des juristes progressistes (AJP) en appellent aux député-es à ne pas soutenir ces projets. Car l’égalité ne se décrète pas, elle se construit. Et chaque pas compte pour atteindre une société plus juste.
Sources
(1) WEF, Global Gender Gap Report, 2023.
(2) Edith Guilley, Carolina Carvalho Arruda, Jacques-Antoine Gauthier, Lavinia Gianettoni, Dinah Gross, Dominique Joye, Elisabeth Moubarak et Karin Müller, Maçonne ou avocate : rupture ou reproduction sociale ? Une enquête sur les aspirations professionnelle des jeunes en Suisse aujourd’hui, menée dans le cadre du PNR 60 « Egalité entre hommes et femmes », Genève, SRED, 2014.
(3) Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes, Reconnaissance et revalorisation du travail de care. Agir pour l’égalité, 2010 ; OFS, Choix professionnels et des études 2022 [en ligne] : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/situation-economique-sociale-population/egalite-femmes-hommes/formation/choix-professionnels-etudes.html
(4) OFS, Écart global de revenus du travail [en ligne]: https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiken/kataloge-datenbanken/medienmitteilungen.assetdetail.23325659.html%0b Ces données sont issues de la mesure de l’écart global de revenus du travail entre femmes et hommes (en anglais gender overall earnings gap, GOEG) calculé pour la première fois en Suisse en 2018.
(5) Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) Premier rapport étatique de la Suisse, 2021.
(6)Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes BFEG, Coûts de la violence dans les relations de couple, Berne, 2013.
(7) Denise Medico, Charlotte Pellaton et Adèle Zufferey, « L’affirmation de genre chez les jeunes trans et non binaires en Suisse romande », Médecine/sciences n°39, 2023.
(8) Alex Mahoudeau, La panique woke. Anatomie d’une offensive réactionnaire, Textuel, 2022 ; Conny Roggeband et Andrea Krizsán, “Democratic backsliding and the backlash against women’s rights : Understanding the current challenges for feminist politics”, UN Women discussion background paper, 2020.